• Les Medias enfilent bien souvent le costume noir pour jouer au Batman… D’émissions en émissions diffusées aux heures de la « Dark night », le journaliste revêt son masque, à la rescousse d’un peuple en détresse face au méchant duo, le Jocker, chirurgien esthétique à la face repeinte, et son machiavélique acolyte, la société de l’image. Mais ne nous y trompons pas, on nous vend du film d’horreur et non des recettes d’émancipation. Une belle caricature de la chirurgie esthétique semble suffire à faire du chiffre : c’est la moderne foire aux monstres ! Car lorsqu’on parle à la télévision de chirurgie esthétique, ce ne sont bien souvent qu’alter ego d’un Frankenstein mal dégrossi : ici une femme, de toute évidence bien troublée, cherche à modifier l’ensemble de son visage, effrayée qu’un jour son partenaire amoureux n’en vienne à se lasser d’une mine quotidiennement identique à elle-même ; là un jeune adolescent - en psychologie on dit un « Peter Pan » - scrute avec horreur ce qu’il appelle ses premières rides de visage, allant de sites internet en sites internet à la recherche d’un chirurgien qui veuille bien retendre ce visage pourtant déjà ultra lisse ; là encore une jeune femme un peu coquette rêve de ressembler à une Barbie, persuadée que la vie d’une poupée blonde réserve amour, gloire et beauté… Bref, on comprend l’agacement des chirurgiens que j’ai pu rencontrer, ainsi du Docteur X., évoquant un choix quant au traitement de l’information dans les médias pour le moins douteux, ou du Docteur Y., déplorant que l’image que les médias transmettent de la chirurgie esthétique en soit restée aux années 80, aspects psychologiques des demandes trop souvent écartés, Interventions peu respectueuses des unités anatomiques.

    Il faut dire que le cinéma n’est pas non plus d’un grand secours : de The Awful Doctor Orlof de Jesus Franco, à La Piel que habito d’Almodovar, en passant par le très fameux Nip Tuck de Ryan Murphy, les chirurgiens esthétiques passent toujours pour des petits dangers publics, armés d’outils qui ressemblent plus à un set complet pour tortureur accompli qu’à de véritables instruments médicaux. Le lynchage médiatique de la chirurgie esthétique n’a ainsi d’égal que le dédain avec lequel on traite les patients, tous réduits à des « beauty junkies » victimes d’une
    machination dont il faudrait les sauver. A cela s’ajoute enfin le sanglant vernis du « gore », cerise sur le gâteau de cette petite farce médiatique. Mais trop tard, la faute est consommée : plus possible désormais de distinguer au sein des actes chirurgicaux ce qui peut être qualifié d’un côté de complexe semi-psychiatrique, coquetterie futile, ou consommation pour riches et de l’autre de souffrance bien réelle soignable par l’acte chirurgical. Désormais, chirurgie esthétique = « Extrême Makeover ».  Merci pour ’info ! La question doit donc être posée : dans quel cas un malaise esthétique peut-il être rangé dans la classe des maladies légitimes, soignables, médicales ? La chirurgie esthétique a-t-elle sa place au Panthéon des médecins ? S’il faut bien voir comme la question est maladroite, tant Elle présuppose déjà ce qu’elle questionne, je la prends comme elle est, parce qu’elle est dans la bouche de tous.

    Tout d’abord, réduire la souffrance d’un patient pour une chirurgie à un simple« complexe » d’adolescent boutonneux, c’est vraiment ne pas saisir L’enjeu du phénomène, moins attaché en fait à des modifications esthétiques simples, qu’à de profondes réévaluations identitaires exigeant, aussi, un corps autre.

    Ensuite, si par santé nous entendons, selon la formule bien connue, le silence des organes, c’est-à-dire la possibilité qu’a un corps d’être traversé sans encombre, de jouer, en fait, le rôle de médiateur entre nous et le monde, alors une chirurgie peut faire sens dans les cas où l’intervention apaise le bruit d’une partie corporelle au timbre grinçant ,celui du complexe , mais elle perd évidemment tout son sens dans les cas où la chirurgie, ignorante des aspects psychologiques que peut parfois comporter une telle demande, ne fait au fond que perpétuer ce bruit. Enfin, si l’on doit se demander dans quelle mesure la chirurgie esthétique appartient ou non au monde des médecins, encore faudra-t-il avant se poser la question de savoir dans quelle mesure la médecine actuelle constitue vraiment un milieu professionnel dans lequel on soigne des maladies
    effectivement handicapantes pour la poursuite de la vie, c’est-à-dire si le monde de la médecine peut vraiment se dédouaner du reproche de futilité qu’on fait aux chirurgiens esthétiques ; car malgré toutes les distinctions que l’on peut faire entre médecine et paramédecine, force est de constater qu’un médecin aujourd’hui n‘est tout simplement plus quelqu’un qui ne fait que sauver des vies, c’est aussi quelqu’un qui sauve… le quotidien, dans ses aspects les plus routiniers, les plus superficiels, les plus anodins. Alors, quelle news philo aujourd’hui ? Les médias ont refait le portrait aux chirurgiens esthétiques…

     

    Texte : Clémence Chastan, illustrations, Marine Chastan


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  • "Barbie m'a fait aujourd'hui un cours sur la théorie du Gender", Clémence Chastan.

    « C’est la faute à Barbie » m’ont dit les sociologues ! Et pour cause, la "blondasse" anorexique à la transcendantale paire de seins incarnerait, artificieuse et facétieuse, une féminité réduite à l’état de joujou pour Monsieur. Ne manquait plus que l’invention de sa version gonflable pour que soit révélé, avec force subtilité il faut dire, son statut de « sex toy » en puissance. Alors le bal des critiques est ouvert : « perchée sur ses talons hauts qui devraient lui interdire certaines activités quotidiennes, Barbie s'affiche conforme à l'image américaine d'une féminité oisive, investie d'une mission sociale: valoriser l'homme qui s'est fait une place dans la société » lance Marie-Françoise Hanquez.  En clair, Barbie imposerait aux femmes un rôle – oh le méchant mot ! -, que dis-je, un stéréotype – oh le très méchant mot ! -, et même, une norme –oh le *** méchant mot ! -, consacrant, dans le cadre d’une différenciation sexuelle née du sein des seins d’un autoritarisme patriarcal sans soutien-gorge, une féminité rigide, à la sexualité non frigide, spécialisée dans l’art du frigidaire. Bigre, j’en ai la chaire de poule…

                    Mais, - il y a toujours un « mais » -, si la diversité des théories du genre trouve à s’unifier autour d’une thèse commune, celle selon laquelle l’expression de la différence sexuelle, irréductible à un ancrage biologique plus ou moins discuté, participe d’une solidification des rôles sociaux cantonnant la femme à une position périphérique et inférieure dans l’espace social, il est en fait assez douteux que Barbie puisse faire office de bouc-émissaire efficace.. La jolie poupée, passant maintenant toute la journée à faire « non, non, non » grâce à ce superbe gain en flexibilité que permit l’optimisation des articulations, impose de moins en moins. C’est presque même tout le contraire : occidentale, puis africaine, enfin asiatique, blonde, ou brune, ou bien rousse, vétérinaire, soldat puis journaliste, "la marionnette" s’accessoirise hyperboliquement, donnant l’occasion à n’importe quelle fillette d’en faire usage comme d’une page blanche, bref, l’urgence de s’inventer. Bon, inutile d’en faire trop, car l’on voit bien que cette évolution du joujou ne va pas de l’imposition tyrannique d’une norme féminine à l’exhortation à s’inventer soi-même en toute liberté, mais plutôt qu’elle incarne le succès du libéralisme à l’échelle de l’individu. Enfin, il n’empêche que si Barbie est une prison pour femmes, alors il faut bien avouer que cette prison est aussi sécurisée qu’un moulin…

                    En revanche, si l’on jette un œil à des théories du genre un peu plus originales, alors, là, Barbie a quelques vraies leçons de « gender studies » à nous enseigner. Car, vous m’excuserez, je suis directe, Barbie n’a pas de vagin. Que faire de ce constat un peu cru ? D’abord, si l’on en croit l’analyse freudienne selon laquelle le développement de la sexualité des fillettes se fait normativement au profit de la norme hétérosexuelle, à savoir que le vagin répond naturellement au pénis comme le confortable capuchon à son désiré stylo, l’absence de cet espace d’accueil pour phallus chez Barbie en ferait une véritable héroïne lesbienne anti-freudienne, le symbole d’une sexualité clitoridienne rugissant fièrement. Ensuite, la possibilité même de penser un symbole féminin sans vagin participe de la remise en question de la survalorisation de l’organe sexuelle pour déterminer l’identité d’une personne. Pourquoi, finalement, la spécificité de l’organe reproductif prime-t-il sur la forme de l’oreille, la couleur des yeux ou la taille de l’orifice nasal pour déterminer une identité ?! Tout finalement n’est qu’excroissance, chair, organe jusqu’à ce que nous investissions symboliquement certaines parties.

                    Enfin, plus passionnant des trois, l’absence de cavité vaginale, la surreprésentation des atours féminins érotiques comme la poitrine, le forcé du maquillage tendrait à voir dans Barbie une femme presque trop féminine, parodiquement féminine. Lorsqu’on sait qu’une certaine Judith Butler a écrit un fameux texte titré Trouble du genre, dans lequel elle montre comment les rôles sexués sont en réalité aussi flexibles, souples et troubles que des rôles carnavalesques, alors rien n’empêche de voir dans Barbie rien moins qu’une Drag Queen. Ce qu’une théorie du genre ambitionne dès lors, ce n’est point supprimer l’altérité sexuelle au profit d’une biologie poly-sexuelle, mais dégager, au sein de la compréhension de la différence masculin/féminin telle qu’elle existe aujourd’hui, des failles, des fissures, des troubles qui témoigneraient de ce que, déjà, la frontière est poreuse. Impossible en effet de savoir, réellement, si Barbie est un homme ou une femme, tant et si vrai que, loin d’imposer quelques repères bien stables, la poupée, au final, nous dérange. Alors, quelle news philo aujourd’hui ? Barbie m’a aujourd’hui fait cours sur la théorie du Gender.

    Illustrations : Marine Chastan. Texte : Clémence Chastan. 


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  • Bientôt les vacances? Et si on se penchait sur le sujet...Après un éloge du superficiel (cf article sur Maryline la_philo_en_beauté), la thématique du voyage est l'occasion de peaufiner encore le grain philosophique de notre rubrique "La philo en beauté", à savoir la critique de la fascination pour l'authentique, authenticité d'un être ou authenticité d'un lieu. De l'anatomie à la géographie, nulle frontière alors....

    Parmi les quelques notions qui tapissent notre imaginaire idéologique (superficialité, égalité, tolérance, progrès, naturalité, etc.), l’une d’entre elles me semble mériter la médaille du flou conceptuel : « authenticité ». Si je « google » le terme, voilà ce que j’y trouve : un joyeux fourre-tout soixante-huitard mêlant errance rebelle aux accents mystiques, utopie cénobitique marquée par un repli communautaire et périple aventureux à la Indiana Jones... Moi qui croyais que le terme appartenait initialement au monde de la critique d’art, désignant une œuvre dont l’origine, l’auteur et la réalité sont certifiés, qualifiant autrement dit une œuvre conforme à sa définition, serais-je donc loin du compte ? Pas si sûr… De même qu’une Joconde n’est authentique que pour autant qu’elle répond aux exigences définies par le critique d’art, à savoir que le tableau a effectivement été authentifié comme celui peint par Leonard de Vinci entre 1503 et 1506, de même une Chine authentique semble devoir se justifier de quelques sommations exprimées avec fort ethnocentrisme par l’héroïque routard, apparemment détenteur ultime de la définition de ce qui est « chinois » : quelques minorités ethniques Hui aux costumes bariolés, entretenant pastoralement l’héritage bouddhique, au côté de chèvres aussi sages que des petits Confucius, sur un arrière plan de rizière bucoliquement cultivées dans une province plus reculée que le Yunnan, à l’abri des affres de la traîtresse Shanghai occidentalisée, capitalisée, financiarisée.

    Si le fonctionnement du concept d’authenticité pose peu problème en art – même s’il pourrait être sain de se demander dans quelle mesure l’exigence d’authenticité d’une œuvre ne relève pas en fait d’une exigence purement commerciale, le gage de l’exclusivité, dans une compétition à la consommation où la reproductibilité technique ruine la valeur financière de l’objet bien avant d’anéantir l’aura que lui prête le nostalgique Walter Benjamin  – sa migration vers le monde du voyage constitue peut-être le comble d’une arrogance bobo à la stratégie bien ficelée. Car parler d’une Chine authentique, qui, vous l’aurez compris, n’est pas celle que bombarde niaisement le penaud appareil photo Codec du moutonnier touriste, ce n’est au fond pas autre chose que d’imposer une norme, privant tout à la fois le touriste, le scientifique mais surtout le chinois de toute prétention à définir le sens de cette chose si alambiquée, si chimérique et si tortueuse qu’est la Chine. Voilà donc que le routard, se targuant pourtant de respecter la délicate fleur chinoise que piétinent les touristes aux audio-guides polyglottes, va donner aux chinois une paternaliste leçon d’identité… C’est trop aimable à lui ! Si tout ceci vous rappelle, comme le relent d’une huître mal digérée, de poussiéreuses histoires d’héroïques colonisateurs apportant les Lumières aux immatures pays émergents, je n’y suis que pour très peu…

    Mais cessons les sarcasmes et tentons de comprendre. Autrefois privilège d’une poignée d’aristocrate, à qui revenait la distinction d’être les seuls à pouvoir montrer, qualifier et définir le monde, le voyage, ce coquin, est devenu accessible à tous – il paraît même que l’on appelle ca « démocratisation » ! -, signant par la même occasion la banalisation du voyageur, touriste parmi les touristes. « Ici, plus que son privilège, c’est l’espace nécessaire à l’expression de sa différence que le voyageur voit se réduire » conclue le génial Didier Urbain dans L’Idiot du voyage. Mais on n’aime pas partager un objet, tout comme on n’aime pas partager un espace, dans une logique d’appropriation qui frise celle de la propriété, en quoi le routard aux airs hippies a tout l’air d’un consommateur alternatif, mais un consommateur encore, plus fidèle que jamais à la logique de la consommation capitaliste. Que fait donc l’intrépide voyageur, ce soi-disant anti-touriste? Easy ! Armé de ce petit mot, « authenticité », faisant fi de l’importance du pluralisme, de la multiplication des regards sur le monde, de l’absence de norme perceptive, il mène un coup d’Etat, celui qui consiste à dire qu’il est le seul à voir profond, juste et vrai dans les espaces qu’il arpente: il est l’heureux propriétaire, sinon le monde, en tout cas de la définition de la Chine. Le cachotier ! Si la quête d’une réalité alternative à nos modes de vie urbains occidentalisés n’a évidemment en tant que telle rien de vil, d’absurde ou de pathétique, son façonnage dans le moule du concept d’ « authenticité », petite dictature pour adolescents, mérite donc bien quelques sains soupçons. Alors, quelle news philo aujourd’hui ? Le routard, ce colonisateur des temps modernes…

    Réflexions de "routarde", Clémence Chastan, illustrations : Marine Chastan


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  • Mais au fait, c’est quoi la philosophie ? Passé le trop fameux commentaire étymologique, le petit intermède historique, la longuette énumération des grands Monsieur, que reste-t-il à une bloggeuse pour définir la philosophie qu’elle propose? Tant pis pour la modestie, il lui reste encore son humble avis.
    L’histoire s’appelle « Le Philosophe et ses Pauvres ». Et puisqu’il faut bien commencer quelque part, commençons par le commencement… Un jour un petit homme trop barbu pour être le gentil de l’histoire décida de revêtir le costume du sauveur des foules, se targuant de pouvoir révéler aux prolétaires la misère dans laquelle, aveugles, aliénés et inconscients, ils vivaient. On vit alors le philosophe se donner pour mission d’aller sortir de leur platonicienne caverne des prisonniers qui se trouvaient fort bien tels qu’ils étaient, qui n’avaient jamais eu besoin de philosophes pour mener à bien leur existence, et n’avaient jamais demandé à des penseurs de leur porter secours. La maladie consacra le docteur : le Philosophe et ses Pauvres étaient nés. Pour reprendre les mots géniaux de Jacques Rancière, l’aliéné devint « l’homme chez qui la possibilité de perdre ses chaînes n’existe que comme décret du philosophe ». On avait donc besoin de penseurs pour être libre ! 

    Il faut dire que les petits penseurs barbus savent y faire… Nul besoin de baguette magique, ils possédaient une arme fatale : la « critique démystifiante ». Son fonctionnement était simple : lorsqu’on questionnait l’homme-qui-pense à propos d’un sujet, il esquivait, tactique universelle. A coup de « La religion est l’opium du peuple », la critique démystifiante se présente comme une stratégie d’évitement, de substitution, de déplacement. On nous explique par exemple que le vêtement (a) cache des rapports de force typique d’une société de classes (b). Tout l’intérêt est déporté de a vers b. Et si vous ne saisissez pas ce phénomène, c’est que vous ne saisissez pas que le principe même d’une pensée philosophique, c’est son pouvoir de passer des apparences, lot du vulgaire sens commun, à la réalité, privilège quasi-divin auquel n’accède que les petits barbus aux têtes bien pleines. Voilà comment s’effectue toujours l’élision de la question…
    Qu’est-ce que le maquillage ? L’épiphénomène d’une société du paraître. Qu’est-ce que la publicité ? L’épiphénomène d’une société de consommation. Qu’est-ce que la mode ? L’épiphénomène d’une société du spectacle. Bien sûr, pour que l’arme fonctionne, il fallait une anodine et dévastatrice petite chose : faire comme si les philosophes étaient de voir plus vrai, plus loin, plus réel que la masse du vulgus, trop peu cultivé, trop peu sagace, trop peu lucide. Il fallait donc une domination !  C’est ainsi que les petits barbus devinrent Rois.

    L’histoire n’est pas très amusante, j’en conviens… c’est une histoire de garçons !!! Rien n’interdit d’en changer le dénouement. En prenant au sérieux les actions des hommes, des plus quotidiennes comme l’acte de se maquiller aux plus exceptionnelles comme celui de faire appel à la chirurgie esthétique, je crois que la philosophie se donne la possibilité de mieux penser. Car il est certain que le maquillage est tout autre chose qu’une banale coquetterie de femme aliénée par un système machiste. Traiter le discours optimiste d’une patiente pour une mammoplastie avec la même objectivité que celui d’une sociologue pseudo-féministe critique de la chirurgie esthétique, c’est redistribuer les cartes du pouvoir en affirmant l’égale capacité des hommes à saisir le sens de l’expérience dans laquelle ils évoluent. C’est écrire une nouvelle histoire : « Le Philosophe et ses Riches ». Substituer à l’échappatoire de la critique démystifiante une attention analytique plus optimiste sur des phénomènes trop décriés par une philosophie par trop intellectualiste : le vêtement, la mode, le maquillage, la chirurgie esthétique, la publicité, le paraître, … Montrer en fait que le superficiel est peut-être ce qu’il y a de plus authentique. Alors, quelle news philo aujourd’hui ? Philosophie : nom commun, art de ne pas prendre les gens pour des imbéciles, qu’ils soient fashion – et non victimes – ou instruits.

    Texte de Clémence Chastan, illustration : Marine Chastan


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  • « Le nez de Michael J. innocenté dans le procès pour outrage raciste ».
    Ils sont nombreux les articles, qui déplorent l’addiction à la chirurgie esthétique du petit Michael au paternellement nommé « gros nez » tout rapetissé par les coups de scalpel. Tous nous répètent un peu la même histoire : traître de sa propre race, victime d’une enfance malheureuse, dupe de l’impérialisme blanc, le petit des « Jackson Five » s’est auto-engendré « White » par le miracle du bistouri, reniant ainsi sa filiation de « Black ».
    Voilà réactualisée, à travers une chirurgie ethnique du nez symptomatique d’une conscience noire dite aliénée, mutilée, estropiée, la vieille problématique de l’esclavage, traduite ici par cette déférence jacksonienne à l’égard d’une définition occidentale de la Beauté nasale. Mais, tandis que le critique dégaine l’argument Black/White avec une monomanie qui frise le « point Godwin », Michael s’exprime, car oui, outre d’un nez, il dispose - c’est incroyable ! - d’une bouche: « See, It’s not about races, just […] faces. […] I’m not going to spend my life being a Color » clame MJ dans « Black or White ». En vain, car notre penseur est aussi têtu que borné : on lui dit qu’il ne s’agit pas de races, qu’il en va bien plutôt d’une tentative, peut-être artistique, de maximiser l’ambiguïté identitaire en déjouant les bornes raciales, mais que nenni, le principe même de la critique démystifiante est de ne pas prendre au sérieux les discours des acteurs sociaux. Alors à quoi bon ?

     « Ne pas prendre au sérieux les discours des acteurs sociaux »… De tous les acteurs sans distinction? J’en doute fort… Dans son superbe article « Why Michael Jackson’s nose makes us uneasy », Katy Davies montre bien comment les minorités ethniques disposent en général d’un espace discursif beaucoup plus réduit que leurs voisins blancs pour justifier l’appel à une chirurgie esthétique, en conséquence de quoi il faudrait se demander dans quelle mesure le critère racial aurait émergé, dans l’analyse du « gros nez » rapetissé, avec autant de rapidité si MJ était en fait un Blanc fermement décidé à se « blackiser » par un grossissement des narines. Cela ne signifie pas qu’il faille en sociologie bénir bêtement tous les propos des acteurs, oubliant par là que tout corps social génère des rapports de pouvoir que traduisent dans un certaine mesure nos choix esthétiques, mais surtout qu’il faut bien voir combien réside, dans le douteusement obsessionnel recours au critère racial dans les études sur la chirurgie esthétique dite « ethnique », un encouragement, une réaffirmation, une confortation de ces mêmes rapports de domination : le Blanc serait plus rationnel que le Black. Si Mickey n’est pas pris au sérieux par les sociologues de la même manière selon la couleur de sa peau, alors ca, c’est un pic, c’est un cap, que dis-je, c’est une… discrimination ! Voilà que Bourdieu et ses acolytes sociologues, alors même qu’ils prétendaient nous libérer des relations de pouvoir implicites dans le corps social, en sont à l’origine, au moins pour une part, lorsqu’ils abordent la question de la chirurgie esthétique chez les populations afro-américaines, hispaniques ou chinoises avec ce préjugé d’irrationalité.

    L’analyse de la célèbre petite péninsule jacksonienne, plus fameuse que le Mont Saint-Michel, souligne ainsi la tendance à la « racialisation » de certaines questions sociologiques. Elle impose, je crois, de reconsidérer le regard que l’on porte sur la si mal nommée chirurgie de « débridage » des yeux. Non seulement blanchiment de la peau et chirurgie de la paupière ne relève que fort peu d’une adoration abrutie du grand manitou Occident, mais découle plus probablement de rapports de pouvoir intra-asiatiques, relatifs à une distinction entre classe laborieuse bronzée et fatiguée et classe aisée aux ongles superbement manucurés, aux yeux ébahis et aux teints perlés ; mais encore, s’il devait exister une quelconque pulsion de s’occidentaliser par le bistouri en Chine, alors soyez à peu près certains que les yeux et la peau ne seraient pas les premiers concernés. Résultats d’une petite étude menée à Shanghai : le critère distinctif d’un visage occidental, c’est le nez, plus exactement, le grand nez à la Cyrano. Bref, la péninsule, la vraie…
    On comprend alors vite pourquoi le mandarin lui-même ne contient aucun terme traduisant notre « yeux bridés », « yeux asiatiques » étant de même une traduction littérale qui ne fait aucun sens dans cette langue chinoise. Bref, de même qu’en Chine on ne « débride » pas les chinoises, de même MJ n’a pas « dé-blackisé » son nez… Ouf ! Alors, quelle news philo aujourd’hui ? Le nez de Michael J. innocenté, enfin, dans le procès pour outrage raciste...

    Et qui a du nez ...dans la Philo en Beauté Hein ?...et bien Clémence Chastan (pour son article) et Marine Chastan (pour ses illustrations) D'ailleurs Clémence ne s'intéresse pas qu'au nez. Elle aime aussi les lèvres, brillantes...tout comme l'esprit ! Clemence embrasse la Philo


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