• Masquer, déguiser, falsifier, tromper, altérer… Voilà déjà 5 synonymes plus que significatifs d’un verbe aux connotations peu élogieuses: (se) maquiller. Tout se passe comme si un simple mot contenait comme déjà par avance son discrédit, la condamnation d’un artifice féminin dont le pouvoir de séduction évoque, dans une culture sourcilleuse vis-à-vis du charnel, un péché originel marqué du sceau de la Tentation féminine. Inscrit bien malgré lui dans l’histoire de la culpabilisation des charmes féminins, le maquillage, atout de la seule courtisane, répondrait en fait à la fois d’une logique de dissimulation du vrai, d’une stratégie d’envoûtement du libre arbitre, et d’un vice de dénaturation du pure. La seule raison justifiant sa constance à travers terres et âges résiderait en somme dans une forme de frivolité constitutive de l’anthropologie féminine dont le récit du fruit interdit constituerait le mythe fondateur… En problématisant la pratique du maquillage autour du degré d’autonomie des femmes, décrites comme prises dans le tourbillon d’un fatum de la vanité, la moralisation des comportements féminins s’autorise ainsi sournoisement un anathème plus que douteux, un confinement des femmes au rang de « beau sexe faible » servant de levier à la domination du masculin.

    Tenter de comprendre le maquillage au-delà d’une telle simplification, c’est, il me semble, poser tout de même la question de la spécificité d’un acte essentiellement féminin moins relatif à une nature  féminine qu’à une forme de personnalité historique. Dans son superbe Eloge du Maquillage , Camille Saint-Jacques propose ainsi de voir dans l’acte de se maquiller le signe d’une bienveillance qui n’a rien de la béate, gentille et passive acceptation : « C’est en cela surtout que le maquillage est foncièrement féminin, parce qu’il relève de cet art de l’accommodement, de la composition auquel le genre féminin est attaché depuis des millénaires à cause de son oppression même. […] Ce qui se joue dans le maquillage, et la raison pour laquelle les hommes ont si souvent combattu cette pratique, c’est une approche différente du monde, du cosmos, par les femmes ». Le maquillage semble ainsi offrir au féminin la possibilité d’une petite révolution ni frivole ni légère, tant et si vrai que l’acte d’auto-arrangement que comprend un geste cosmétique comme celui-ci permet de dépasser, déjà, la prétention d’un mari à disposer de son épouse comme d’une propriété tout comme la fatalité d’un visage, fruit d’une généalogie parentale, soudain remanié conformément à un choix tout personnel.

    Plus encore, le maquillage me paraît témoigner d’une maîtrise féminine de la dimension « spectaculaire » de nos existences, dont j’ai déjà parlé mais sur laquelle je souhaite insister. Cette esthétique de la dissimulation de l’intime, souvent mise au pilori de la séduction à la manière d’une publicité mensongère , traduit sans doute une stratégie de mise à distance, une manière de ne pas dévoiler tout de soi, la garantie par conséquent de ne jamais être pleinement possédée. C’est là un ressort plus que classique de toute fiction, savoir maintenir du suspense, une attente, un désir. Or, pourquoi est-ce si important pour une femme de maîtriser les codes de la représentation de soi ? Si le maquillage appartient à la fois au monde du théâtre et à celui de la cosmétique féminine, cela n’a rien d’anodin, mais s’explique en réalité par le fait que les femmes, autrefois exclues d’un espace public extrêmement discriminant, ont eu l’intelligence de recréer avec force subtilité un espace public dont elles seraient maîtresses, se parant, se maquillant, se sublimant pour mieux stopper l’action, créer le spectacle, séduire un public . Sortie du confinement à l’intime gynécée, les voilà, en actrices, sous le feu des projecteurs, sur la scène publique, face à de très fascinés spectateurs masculins.

    Alors, quelle news philo aujourd’hui ? Le mascara ne maquille aucun crime…

    Texte : Clémence Chastan, Illustration : Marine Chastan.


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  • Au commencement, la Mode créa la Fashion Victim ». A l’occasion de cette petite Genèse remaniée, questionnons un peu ce mot magique que nous appelons « mode ». Magique, car nous percevons en fait la mode, particulièrement vestimentaire, à la manière d’une puissance divine manipulatoire, faisant de tout consommateur un mouton mi-passif mi-béat berné par la carotte des grandes marques. Tout se passe au fond comme si, en puissante divinité nommée, la Mode donnait ainsi naissance à autant de petits fanatiques sacrifiant sur l’autel du vêtement les restes d’un âme déjà consumée car consommée. C’est ainsi que, en sciences humaines, on parle de « pensée magique » lorsque, par caricature sans doute, l’on attribue à un phénomène la puissance, toute occulte, de faire naître comme par magie chez un individu des désirs irrationnels inconscients, ainsi du désir d’être « à la mode ». Par exemple, on dira de la fashion que son achat de la dernière petite robe à la mode relève non d’un choix libre mais d’une attitude de petit pantin docilement servile n’aimant le rose que parce que telle marque est parvenue à lui faire croire que « Pink is in ! ». C’est là tout un procédé de dramatisation critique qui frise la paranoïa! 

    A y voir plus clair, en fait, il est bien vrai que la mode est partout, et non dans la seule penderie de la « Fashion », mais elle ne dupe, au fond, personne. Enfin… presque ! S’il est une victime de la mode, ce n’est pas la Fashion errant allèchement devant les vitrines toutes cossues des grands magasins, mais bien plutôt celui qu’on nomme le « baba cool », en bref, celui qui se dit contre la mode. Car non seulement la baba cool attitude, autrement nommée hippie attitude, est rentrée il y a bien longtemps au Panthéon des modes vestimentaires les plus portées, érigeant dreadlocks et pantalons rayés en codes esthétiques incontournables, mais encore l’existence même d’une mode « marginale »  est interdépendante de l’existence d’une mode dite « normale ». En effet, si, selon Georg Simmel, « la mode appartient à ce type de phénomène qui dans l’intention visent une diffusion toujours plus étendue […] mais qui se contredirait et s’anéantirait en parvenant à ce but absolu », alors, au fond, la mode a besoin du marginal. Pour comprendre ceci, il faut voir que le principe même d’une mode, qu’elle soit-elle, est de générer une distinction entre individus en faisant émerger, par un comportement grégaire limité, un groupe lié par un même style : le baba cool n’existe ainsi qu’en tant que volonté de distinction vis-à-vis du « fashion system ». Du coup, si le principe même de la mode est de stimuler les stratégies de distinction sociale, alors le marginal est la contrepartie logique et la condition même de possibilité du normal. Au fond, se dire contre la mode, c’est, plus que jamais, rendre service à la mode, car c’est entrer dans son jeu. 

    Quel est donc ce jeu ? Poser cette question, c’est poser la question du sens même du vêtement. La naïveté serait de croire que la volonté de se vêtir est née d’un souci pratique, désir de se protéger es intempéries et du froid par exemple, tant et si vrai que, s’il y a là peut-être une des raisons de la naissance du vêtement, elle ne suffit en rien à expliquer l’effervescence esthétique qui caractérise ce dernier. C’est ainsi que, si le hippie nous affirme bien hautainement ne sélectionner ses vêtements qu’en fonction de l’aisance qu’ils permettent, encore faudrait-il savoir ce qui motive le choix du pantalon thaïlandais au détriment du très pratique jogging, qui fait pourtant l’admiration des skateurs, « street » et même joggeuses à chihuahua. En réalité, le sens du vêtement est essentiellement d’ordre symbolique, pour la valeur distinctive qu’il rend possible, donnant la possibilité à tout être humain, en choisissant son pelage, de se construire une petite identité ni factice ni futile. Le choix d’un vêtement, c’est toujours en fait pour ainsi dire un choix existentiel, un choix de soi. On ne s’habille pas baba cool, on est baba cool. La mode, de son côté, en créant des dynamiques grégaires dont au fond personne n’est dupe, rend possible des identifications de groupes, par lesquelles nous construisons notre appartenance à une certaine classe d’élection, à une certaine vision des choses, à un certain mode de vie. Réconciliant pulsion individualisante et pulsion socialisante, la mode ainsi exclut par la distinction stylistique qu’elle opère et inclut par le mimétisme vestimentaire qu’elle initie.

    Alors, quelle news philo aujourd’hui ? La Bête et le Bossu, eux aussi, s’habillent en Prada…

    Texte habillant la mode par Clémence Chastan, illustrations, Marine Chastan


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  • A vous coquettes et  frivoles, dites superficielles, levez vos rouges à lèvres, dressez vos mascaras, brandissez vos pinceaux !

    On dit souvent d’une femme coquette qu’elle est superficielle parce qu’elle se soucie de son image, comme si notre apparence devait subir une sorte de « dégradation » parce qu’elle se situe à … la superficie de notre être. Par contraste, l’intériorité se trouve décorée des médailles de l’authenticité. Conformément à une distinction très platonicienne, nous serions ainsi constitués d’une essence noble dite « âme » logée dans notre intériorité par rapport à laquelle ce qui est extérieur, corporel et apparent ne jouerait le rôle que d’une enveloppe aussi factice que finalement futile, vaine et impure.
    L’écrivain et philosophe américain George Santayana dit ainsi : « les choses vivantes en contact avec l’air doivent avoir un épiderme ;  et on ne saurait reprocher à l’épiderme de n’être pas le cœur. Pourtant, certains philosophes semblent en vouloir aux images de n’être point les choses et aux mots de n’être point les pensées ». Et aux corps, aux apparences, aux superficies de n’être point les âmes.

    Alors, l’habit, il fait ou défait le moine ? Et la mine, peut-elle être jugée ?

    En réalité, quoiqu’en dise le proverbe, l’apparence, loin d’être trompeuse, n’est jamais que la simple expression du caractère, de la personnalité, de l’intériorité. On sait ainsi fort bien que l’être humain est un être incarné pour lequel « être aimable » n’a de sens et n’est possible que pour autant que l’expressivité théâtrale de notre visage rend possible une « apparence d’amabilité », en somme, un sourire. Le corps traduit l’âme en la rendant visible pour les autres, de la même manière que l’apparence n’est que l’apparaître de l’être, non une illusion de sens. Plus encore, l’apparence constitue le lieu permettant une souplesse dans la présentation de soi, rendant possible moins une tromperie sur ce que nous sommes qu’aussi une décision, un choix, une création. Car celui qui s’efforce d’être aimable avec son voisin, troquant ainsi goujaterie flemmarde contre délicate politesse, est-il hypocrite ou simplement soucieux d’être  plus que ce qu’il peut être dans des moments de paresseuse spontanéité ? En conséquence, si le monde est un théâtre, ce n’est pas tant que le lieu social est par essence fiction, au sens où y circulerait un « mensonge romanesque », mais surtout que le terrain public permet à chacun de se réinventer à sa guise par la maîtrise de ce qu’il manifeste de son soi. Par là, l’apparence cesse d’être négation du moi pour devenir l’espace de sa libre invention.

    Et,  qu’en est-il de la coquette ? Habile,  dotée d’une intelligence redoutable maitrisant parfaitement l’art de l’expression d’un moi ? Ou est-ce une écervelée batifolant entre la bêtise et la naïveté ?

    Marylin Monroe, femme parmi les femmes, était actrice, lors même que la caméra s’éteignait ; mais ce n’était point là superficialité, simplement compréhension de ce que l’espace social n’est rien d’autre que ce qui s’y manifeste, s’y publie et s’y révèle. Ni vaniteuse, ni sulfureuse, la coquette fait sa loi dans la basse-cour des coqs. Au cœur de tous les regards, la voilà, en femme, experte en matière de mise en scène de la vie quotidienne, pénétrant en grandes pompes un espace public dont les portes étaient jusqu’alors fermées au féminin. Si nous ne sommes que tel que nous voulons bien être vues – magique dramaturgie social -, alors le souci des apparences, la séduction des regards, le jeu des perceptions, dont Marylin était artiste, me semblent pouvoir être lues non comme des vanités, mais bien comme des vérités. La dimension « spectaculaire » de nos existences n’est alors rien de dégénéré, superficiel ou vain, ce n’est que la conséquence de ce que l’apparence donne à tout être une souplesse dans l’expression de lui-même, la possibilité, en somme, de s’inventer chaque jour comme une actrice.

    Alors, quelles news philo aujourd’hui ? Non, Rassurez-vous ! Marylin Monroe n’a pas vendu son âme au diable…

    Merci à Clémence Chastan d’avoir apposé son grain de beauté sur la question de la superficialité.
    Illustrations : Marine Chastan 


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  • Les Philosophiques ne recherchent pas leur Prince Charmant

    Il était une fois « Blanche Neige et le Chasseur »…


    Conte revisité à l’aune d’une esthétique nouvelle, le tout récent film s’exhibe fièrement comme une petite révolution féministe en marche. Dépourvue de toute culotte de cheval, la belle cavalière a mis à la poubelle sa robe de princesse, révélant les jambes musclées et agiles d’une chasseuse en puissance qui deviendra la Jeanne d’Arc de cette fable moderne sans prince. Fini donc la demoiselle en détresse sauvée par son très machiste charmant, confirmant sa désespérante incapacité à prendre soin d’elle-même, signe de sa dépendance tragique vis-à-vis du masculin. Non, la nouvelle Blanche Neige est une guerrière faisant de sa beauté les prémices de liberté. Car « Blanche Neige » est bien un conte sur la beauté, et à chaque époque son esthétique. Quand la vendetta anti-société de consommation voit dans la beauté moderne une construction commerciale productrice de complexes « cellulitophobes », il me plaît donc, quant à moi d’y lire les indices d’une déclaration d’indépendance des femmes, petite révolution dans laquelle prend merveilleusement place un blog beauté, espace de liberté de la plume jusqu’au cil.

    La suite, c'est par ici :  miroir miroir  et encore par là : plus belle emancipee



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  • Les Philosophiques observent Blanche Neige

    Miroir, miroir, envisage-moi les nouveaux codes de l’esthétique…en vue d’une égalité ?

    Car les codes esthétiques n’ont jamais évolué en vase clos, comme si, allègrement, ils se contentaient d’aller et venir dans la palette des possibilités esthétiques pour s’arrêter, par un hasard tout romanesque, sur la mystérieuse case des « Trois M », Minceur/Matité/Musclé. Ils n’ont évolué que dans la mesure où le regard porté sur la femme, sa place dans la société et son rapport au masculin ont eux aussi évolué. Voilà donc ce qu’il faut dire : toute esthétique est politique.
    Dans une époque où les femmes se sont mises à la conquête de l’espace public dans un vaste mouvement d’auto-politisation, la révolution des codes esthétiques a toutes les chances d’en être le miroir, le beau miroir. Sortie de son foyer, prison dorée dans laquelle se conserve jalousement un teint de perle, la femme s’en va bronzer en extérieur, exhibant fièrement son corps dont elle est la nouvelle et heureuse propriétaire. L’exigence de tonus, de fermeté, qui s’impose autant à la femme ronde qu’à la femme âgée, doit aussi être comprise comme le résultat d’un extraordinaire passage de la femme du monde des passifs au monde des actifs. Tant et si vrai que, si chasseur il y a dans notre nouveau « Blanche Neige et le chasseur », ce n’est point le « poilu » et musclé archétype masculin, mais bel et bien la femme, grande impératrice de l’érotisme. Dès lors, la masculinisation de l’esthétique féminine, à travers l’exigence quasi androgyne d’un corps, sinon musclé, en tout cas ferme, peut fort bien se lire comme le résultat d’un processus d’égalisation hommes/femmes.

    Précédemment, il y avait : le chasseur  et pour poursuivre ce billet, cliquez : plus belle emancipee


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